Donna Amalia et autres nouvelles by Elsa Morante

Donna Amalia et autres nouvelles by Elsa Morante

Auteur:Elsa Morante [Morante, Elsa]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard


Le jeu secret

Sur la place, il y avait toujours une voiture de louage, bizarre et démodée, que personne ne louait jamais. Le cocher somnolent se secouait de temps en temps lorsque sonnaient les heures au clocher, puis, de nouveau, il baissait le menton sur sa poitrine. Dans le coin, auprès de l’édifice jaune pâle de la mairie, il y avait une fontaine, dans laquelle un filet d’eau coulait d’une étrange figure de marbre. De gros cheveux cylindriques se tordaient comme des serpents autour de ce visage, et les yeux saillants et sans pupilles avaient un regard mort.

Depuis presque trois siècles, un palais se dressait sur le côté opposé, en face de la mairie. C’était une demeure noble en ruines, jadis pompeuse, mais désormais dégradée et lugubre. Sa façade chargée d’ornements, que le temps avait rendue grise, laissait voir les marques de sa décrépitude. Les amours dansants qui gardaient le seuil étaient rongés et sales, les festons de marbre perdaient leurs fleurs et leurs feuilles, et le portail fermé montrait des taches de moisissure. Pourtant, la maison était habitée ; mais ses propriétaires, héritiers d’un nom illustre et déchu, se montraient rarement. Ils recevaient seulement, de temps à autre, la visite du prêtre ou du médecin, et, à des années d’intervalle, des parents débarqués de cités lointaines, qui repartaient bientôt.

À l’intérieur du palais se suivaient de grandes salles vides où, les jours de vent et de tempête, la poussière et la pluie entraient en tourbillonnant. Aux murs pendaient des lambeaux déchirés de papier peint, des restes de tapisseries usées ; sur les plafonds, naviguaient des cygnes et des anges nus, et des femmes splendides se penchaient entre des guirlandes de fleurs et de fruits. Certaines salles étaient décorées de fresques, scènes d’histoire ou d’aventures, et elles étaient habitées par des peuples royaux, qui montaient des chameaux, ou jouaient dans des jardins touffus au milieu de singes et de faucons.

La maison donnait, de deux côtés, sur des rues étroites, et, sur le troisième, dans un jardin fermé, une sorte de prison avec une haute muraille, où dépérissaient quelques lauriers et des orangers. Faute d’un jardinier, des orties sauvages avaient envahi ce bref espace, et sur les murs, il poussait des herbes aux fleurs bleuâtres et souffreteuses.

La famille du marquis qui était propriétaire du palais, laissait inhabitées presque toutes les pièces, et elle s’était retirée dans un petit appartement au second étage, rempli de meubles vétustes, où l’on entendait, dans le silence de la nuit, la plainte faible des vers. La marquise et le marquis, d’un aspect insignifiant et mesquin, avaient dans leurs traits cette triste ressemblance qui survient parfois, par mimétisme, après des années de vie commune. Maigres et fanés, les lèvres pâles et les joues tombantes, ils se déplaçaient avec des gestes semblables à ceux des marionnettes. Peut-être que, dans leurs veines, il coulait, au lieu de sang, une substance lente et jaunâtre, et qu’une unique force tirait leurs fils, l’autorité pour l’une, et la peur pour l’autre. En fait, le



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